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Bienvenue sur le blog de Guy ORTLIEB
30 octobre 2008

MEMOIRES D’AFRIQUE (A mes amis que j’ai laissé

MEMOIRES D’AFRIQUE

(A mes amis que j’ai laissé ...)

Le départ en route vers le Cameroun fut l’aboutissement concret d’une démarche que j’aimerai résumer en quelques mots.

Tout d’abord, j’ai eu la chance de vivre pendant presque quatre années au Séminaire Protestant de Strasbourg, lieu communautaire qui compte des étudiants venant d’horizons diverses : Madagascar, Roumanie, Amérique latine, Réunion ; Bulgarie, Cameroun, Zaïre et j’en oublie, puisqu’une vingtaine de nationalités y est représentée chaque année. Ainsi, ce lieu m’a permis de voyager à travers le monde, tout en restant en Alsace.

Il suffisait de faire quelques pas, pour être en contact avec l’étranger et pour apprendre à connaître son histoire, sa culture, ses convictions ; mais aussi la situation de certains pays, ses espoirs et ses craintes.

Baigné dans ce climat interculturel qui constitue une véritable source de richesse, j’ai choisi avec le soutien de nombreux pasteurs et étudiants (que je remercie en passant) de faire appel au Défap (le Service Protestant de Missions et de Relations Internationales) qui s’occupe, avec la collaboration d’autres organismes, de coopérer avec les pays en voie de développement.

Depuis lors, de multiples entretiens avec formateurs, pasteurs, psychologues et des stages ont été effectués, sans parler des contacts épistolaires à tenir et à maintenir avec le pays d’accueil…

Pour ce qui est de ma fonction au Cameroun, j’exercerai le rôle d’enseignant en Mathématiques dans un collège de brousse implanté à Libamba.

Libamba est un des vieux sites protestant du Cameroun, qui a été un célèbre centre de formation scolaire de l’Afrique centrale depuis 1950. Ce collège connaît actuellement un certain nombre de problèmes que j’aurai à découvrir et à vous faire part dans ce livre.

Pour l’heure, je m’embarque dans cette folle aventure de l’Afrique moderne que je ne connais pas et qui m’amènera sans aucun doute à devoir faire preuve d’adaptations…

Ce sera très certainement mon plus grand long métrage :

un film d’une durée de 2 ans ;

un film   où le spectateur devient acteur,

où tous les rebondissements sont permis,

où il faudra faire face à toute éventualité,

un film   où dominera, je l’espère : l’entraide, la tolérance, le respect de la différence, et l’amitié..

un film en version originale où l’écran sera celui de la réalité…

Sortie prévue : été 1996.

Mardi 11 octobre 1994 :

Je me trouve dans les airs, en direction du Cameroun…

Aucune appréhension ne se fait ressentir : c’est un peu comme si une certaine force avait anesthésié la sensibilité de mon cœur. A 19 heures, nous atterrissons sur le sol africain : la température y est de 23°C, et c’est surtout l’humidité de l’air qui se fait sentir. Avec la porte de l’avion, c’est la porte d’un nouveau monde qui s’ouvre.

Lentement, je découvre l’univers africain…

Je suis accueilli par un nommé Samuel Lindjeck (professeur de philosophie et de français) puis par un pasteur de Yaoundé qui nous emmènera chez lui.

Constatation première : beaucoup de « porteurs » nous entourent et sont prêt à tout pour gagner un maigre sous.

Certains d’entre eux cherchent à se rendre utile en tentant de nous donner des conseils ou des recommandations ; d’autres surveillent la voiture qui nous attend..

Bref, quand un blanc arrive en Afrique, tous les moyens sont mis en œuvre pour le « déplumer » dès sont arrivée.

Fort heureusement, je fus formidablement accueilli et accompagné par celui qui deviendra par la suite l’un de mes amis les plus chers, du continent africain.

Chez le pasteur de Yaoundé, un merveilleux dîner (mi-européen, mi-camerounais) nous attend.

On prend de formidables précautions d’hygiène, et on met tout en œuvre pour me faciliter l’intégration et l’adaptation. Après le succulent repas, je pars avec Samuel Lindjeck pour la faculté de théologie de Yaoundé, où nous hébergeons pour la nuit.

Mercredi 12 octobre 1994 :

Ayant confié à Samuel, la connaissance de Joseph Sita (un ami pasteur qui devrait se trouver à la faculté de Yaoundé), quelle ne fût pas ma surprise de le voir en chair et en os, me rendre visite, après un cours qu’il venait de donner ce matin.

J’avais appris à connaître Joseph Sita au séminaire protestant de Strasbourg, séminaire appelé plus communément « le Stift ».

Après cette rencontre heureuse et inattendue où nous avions beaucoup à échanger, je le laissai reprendre son travail, pour aller en ville et faire quelques achat, en compagnie de mon accompagnateur avec qui je nouais déjà une merveilleuse et solide relation amicale.

L’atmosphère de la ville marqua à la fois mon intérêt et mon étonnement.

La manière de prendre le taxi, la façon d’aborder les personnes, la vision des ordures longeant les trottoirs, le marchandage des prix, la patience ; autant d’éléments nouveaux pour moi qui m’amènent à faire preuve d’adaptation…

En fin de matinée, nous nous rendons à la gare, pour accueillir le Principal du Collège : Monsieur Goueth Goueth Dieudonné. Avec lui, j’apprends à découvrir la chance que nous avons avec nos administrations françaises si nous les comparons aux administrations camerounaises ( et dire qu’en France, nous nous plaignons !). C’est promis, de retour en France, je ne me plaindrais plus !

Après quoi, nous nous rendons au bureau de la coopération française pour mettre en ordre mes papiers.

A noter : le contraste entre ses bâtiments entièrement européanisés : climatisation, modernité, ordinateurs, rapidité, efficacité, rentabilité, toutes les qualités européennes sont réunies pour nous permettre de mettre en valeur nos technologies occidentales

La journée fût fatigante, mais toutefois remarquable, car j’avais à mes côtés, les deux meilleurs guides du Cameroun. Grâce à eux, je découvris au mieux chaque détail ou situation nouvelle, inconnue ou inattendue.

Bref, on aurait cru avoir à faire à de vrais professionnels du tourisme camerounais.

Jeudi 13 octobre 1994 :

Aujourd’hui, c’est le départ pour la brousse en direction du Collège Evangélique de Libamba (C.E.L.) : collège dans lequel je suis appelé à enseigner pendant deux années.

A 12H30, nous laissâmes donc derrière nous cette ville semi-européanisée de Yaoundé, pour nous rendre par le train, au cœur de la végétation africaine et découvrir cet aspect authentique et originel de l’Afrique profonde : une Afrique bien plus idyllique à mes yeux …

Sur le chemin de Libamba, le Principal me fait part de certains problèmes, que connaît le collège.

Il me recommande notamment d’observer d’abord les gens, sans leur donner une confiance trop aveugle et partager trop vite, mes impressions sentiments ou critiques personnelles.

Après maintes arrêts desservant les villages de  brousse, nous nous arrêtons après 80 km de route dans un village noyé dans la végétation tropicale qui a pour nom Minka.

Pour nous rendre à Libamba, il nous faut à présent prendre un taxi-brousse ( bagage oblige !).

Les négociations sont difficiles et pour cause : ma présence fait monter les tarifs habituels au grand damne de ceux qui m’encadre.

Après une demi heure de négociation, nous voilà en route pour Libamba en taxi-brousse.

Très impressionnant de voir un taxi-brousse : rien à comparer avec un taxi de ville.

L’image même du taxi est complètement différent des idées qu’un européen peut se faire.

On peut difficilement appelé cela un taxi d’ailleurs, lorsqu’on entend le bruit de la tôle qui frotte le pneu, pare-brise cassé, voiture encrotté, pneus lisses, frein à main inexistant, tôle bosselée… Quelle dévalorisation du taxi !

Mais nous sommes tout de même arrivé à Libamba.

Libamba se situe donc, au milieu de la brousse, à 80 km de Yaoundé.

La végétation y est véritablement très riche et idyllique. Je m’y sens beaucoup mieux qu’à Yaoundé.

Le tableau fait rêver. On respire enfin la végétation de l’Afrique profonde.. De plus, Libamba est également doté d’un bon microclimat qui fait que l’atmosphère y est tempéré. Vraiment, ça vaut le détour..

On y trouve un collège Evangélique qui fut, paraît-il, l’un des rares établissements d’Afrique qui a su faire sortir de son sein, un amalgame d’intellectuels africains.

C’est donc dans ce collège que j’ai l’honneur de venir enseigner…

Pour l’heure, on m’accompagne vers ma future maison.

Rien a voir avec « les cases » que l’on peut imaginer en Afrique : il s’agit bien d’une maison en dur… Elle a été construite par les américains, comme tous les autres bâtiments en béton.

En m’approchant des lieux, deux femmes étaient entrain de s’activer : l’une faisait mon lit ; l’autre, la cuisine.

Eh bien, on peut dire que je suis déjà bien entouré !..

La soirée fût consacrée au déballage des affaires et à la connaissance de quelques personnes des alentours, notamment la rencontre du cuisinier du collège : un cuisinier très comique, à en entendre ses tournures françaises bien à lui tels «  une conversation mielleuse » ou encore «  blesser le gâteau »)

Les gens le surnomme « hydrocarbure », et il adore ce surnom… bref, c’est un agréable gars qui sait à la fois détendre l’atmosphère et aussi rester sérieux, lorsqu’il le faut.. C’est également un bon livre d’histoire capable de ressasser les évènements de Libamba. Bref, une personne qui inspire confiance et qui a entouré les américains autrefois : pendant les années glorieuses du collège ; « La belle époque » en somme.

Du temps des américains, on avait de l’électricité dans chaque foyer; les engins mécaniques fonctionnaient à plein régime; l’eau coulait au robinet de l’évier  …

Aujourd’hui, tout est gâté : on retourne à la pompe pour chercher l’eau, les engins mécaniques constituent des épaves qui témoignent d’un bonheur passé… Seul le tracteur du collège fonctionne encore et d’ailleurs il menace lui aussi de rendre l’âme. Pour s’éclairer, on a recours à un groupe électrogène qui consomme beaucoup trop d’ailleurs, mais qui permet aux élèves du collège d’effectuer leurs devoirs du soir. Après une heure ou deux, c’est l’extinction et l’on sort sa lampe tempête si nécessaire.

La situation actuelle s’est donc bien dégradée, à en croire son témoignage et son caractère nostalgique

Mais ma présence en tant que blanc semble le rassurer et lui redonner une touche d’espoir…

Après un succulent dîner, les gens qui m’entourent me souhaitent une agréable nuit, et je m’organise de manière à passer ma première nuit en pleine brousse.

Moustiquaire , insecticide, anti-moustique, je sors tout l’arsenal des produits destinés à me préserver des piqûres de moustiques successibles de me transmettre le paludisme.

Une fois l’intégralité du dispositif mis en place, je ne tarde pas à rejoindre les bras de Morphée.

Vendredi 14 octobre 1994 :

Le réveil fût assez agité. Et pour cause, l’insecticide que j’avais mis la veille avait eût pour effet de sortir les cafards de leurs cachettes. Je m’en étais déjà aperçu avant même de me coucher . Malgré leur longueur (7à 8 cm), leur rapidité et leur forme peu commune, je n’avais pas fais de mauvais rêves pour autant.

J’apprendrai plus tard, que certains cafards pouvaient voler d’une pièce à l’autre : eh oui tout un exploit !

Et lorsqu’on tue un cafard, une armée de fourmis vient récupérer les restes de la victime...

C’est ainsi que l’on peut assister à un véritable spectacle.

Mais venons-en à présent à cette journée du 14 octobre.

Mon envie de commencer les cours me gagne ; mais la direction du collège me fait savoir qu’il serait bon que je m’installe confortablement… Chaque chose en son temps… Je découvrais tout doucement la valeur du temps africain…

J’en profitais alors pour écrire une lettre et informer mon organisme d’envoi, sur la situation du collège.

Première lettre au défap

(cette lettre fut publiée par la suite, dans le journal « Mission »)

« Voilà enfin ma première lettre, mais peut-être avez-vous déjà eu quelques informations par ma famille. Si c’est le cas, elle vous aura fait part de ma bonne arrivé et de la situation du collège de Libamba.

Je fus accueilli par le nouveau Principal et l’un de ses collègues. Je dois dire et redire que j’ai trouvé leur accueil chaleureux, et j’ai pu me sentir ainsi tout de suite, membre à part entière de cette communauté de Libamba.

                A cause du passé, la situation au collège est aujourd’hui très difficile. De  ce fait, je me dois de vous faire part de mes sentiments qui sont aussi ceux du nouveau Principal et d’un bon nombre de personnes ici.

C’est un défi ; un véritable défi que de tenter de redonner un souffle à ce collège. Il a connu bien des problèmes ces dernières années et on essaye de le relever tant bien que mal. Parfois le doute, la désillusion, gagnent certains qui se sentent alors découragés ; mais pour la plupart, l’espoir reste le plus fort.

                Il faut savoir que ce n’est pas véritablement facile de remonter la pente. Je ne peux pas rentrer ici dans les détails, cependant pour ne citer qu’un exemple, la dette de l’électricité qui avait été installée, s’élève à neuf millions de francs CFA ( soit 90 000 FF ).

                Pour que vous puissiez comprendre, il me faut tout de même faire une petite parenthèse historique :

Le collège avait connu une belle évolution jusqu’en 1992, date à laquelle un problème de gestion est apparu.

Alors, les frères allemands, un groupe d’anciens missionnaires américains nommés « The friends of Cameroun Christian College » (les amis du collège chrétien du Cameroun), ainsi que d’autres associations telles que celle des parents d’élèves du collège évangélique de Libamba (APECEL), et celle des anciens élèves de ce même collège (ASAEL) ont suspendu leurs aides.

                Dès lors, une nouvelle équipe a été mise en place et tente de retrouver de partenaires ; ce qui n’est pas aisé quand on pense aux difficultés que connaît l’Afrique actuellement.

                Par ailleurs, on essaye de faire revenir d’anciens élèves, de convaincre les parents de réinscrire leurs enfants au collège. Malheureusement, ce n’est pas facile…Mais on essaye de voir la situation qui nous a conduits là, au passé, afin de se tourner vraiment vers l’avenir.

                Pour ma part, et comme certains me l’ont conseillé, il s’agit d’observer et d’écouter de façon à me faire une idée plus précise de ce que certains de mes nouveaux amis ont partagés avec moi.

                Avant de terminer ma lettre, j’aimerais vous dire pour conclure, que si vous souhaitez réagir par des questions, suggestions ou idées diverses qui pourraient nous aider ici, je me tiens à votre entière disposition et vous remercie de m’en faire part. A bientôt,                 Guy                ».

Dans la journée, on me présente officiellement et de façon cérémonial, à l’ensemble du corps enseignant et du personnel du collège. Je les remercie de mon accueil et espère pouvoir tenir au mieux, le rôle qui m’incombe…

Le reste de la journée, je la consacre à la visite des environs et la connaissance de nouvelles personnes.

Samedi 15 octobre 1994 :

Enfin je reçois une esquisse du programme, quelques livres de classes et mon emploi du temps.

Concernant le programme scolaire, je m’aperçois qu’il est bien chargé. En classe de seconde, on y trouve par exemple des notions de mathématiques que l’on aborde qu’en faculté en France..

Bref, le programme de mathématiques au Cameroun est celui de nos anciens programmes français.

Le contenu scolaire n’est pas pour me déplaire ( cela me fera de belles révisions) ; mais je crains que le niveau demandé aux élèves en mathématiques, est bien trop haut.

L’après-midi, nous nous rendons à Makak, en taxi-brousse pour acheter livres et cahier.

Makak est une petite ville à 12 km de Libamba. Son nom nous rappelle qu’à l’origine on trouvait beaucoup de singe dans les environs. Makak est aussi le lieu le plus proche de Libamba où le train s’arrête deux fois par jours, en tant normal. Un village qu’il est donc bon de connaître, lorsqu’on cherche à se déplacer.

(J’apprendrai à y découvrir par la suite, deux sœurs allemandes, un coopérant américain spécialisé dans la pisciculture et deux coopérants de la mission catholique dont le premier rôle est d’enseigner au Collège Sacré Cœur de Makak).

Après les achats, il s’agit de trouver un taxi, pour nous ramener à Libamba.

Nous attendons quelques secondes, puis quelques minutes, puis quelques heures..

Pas d’occasions en vu. Si ce n’est peut-être une, mais malheureusement ma présence en tant que blanc fait exploser les tarifs : alors qu’il devrait être de 300 CFA ( 3FF), on nous demande 10 000 CFA ( soit 100 FF).

J’ai beau proposer d’entreprendre à pied, l’expédition retour ; ceux qui m’accompagnent délaissent l’idée d’une traversée pédestre ; traversée qui me semble pourtant envisageable. Peut-être craignent-ils de me faire marcher, à moins que ce ne soit leur notoriété ou leur orgueil qui les empêchent de songer au déplacement à pied.

Alors que la nuit s’annonce, il faut toutefois songer à nous déplacer par nos propres moyens..

Nous partîmes donc en direction du collège, effectuant cette traversée de brousse, à pied.

Cette traversée nocturne n’est pas pour me déplaire : la nature nous offre tout un spectacle sonore et visuel.

Après deux ou peut-être trois heures ( qu’importe, nous sommes à présent en Afrique !), nous voilà arrivé à Libamba, où nous nous dépêchons de prendre notre dîner avant l’extinction du groupe électrogène ; après quoi, nous regagnons notre lit pour un petit sommeil bien mérité.

Dimanche 16 octobre 1994 :

A 9h30, je me rend à la chapelle, pour suivre la célébration chrétienne.

A l’issu du culte, l’aumônier du collège, qui s’était occupé de la célébration, vient me rendre visite au domicile, accompagné de sa famille. Un de ses fils part pour la France. Il me propose de transmettre mon courrier, afin qu’il parvient plus rapidement à destination. J’accepte naturellement cette proposition qui constitue pour moi, une belle opportunité.

L’après-midi est consacrée à la préparation des cours. Il est en effet grand temps de se mettre au travail puisque demain, je commence véritablement à enseigner.

Lundi 17 octobre 1994 :

Je dispense mon premier cours de mathématiques, en classe de première et tente de repérer leur niveau de connaissance. Je me rend assez rapidement compte que les élèves connaissent un certain nombre de définitions abstraites, mais qu’ils ne connaissent pas leur utilité réelle, ce qui parait normal si l’on se réfère au caractère abstrait du livre de classe. Les liens qui se rattachent à des situations réelles y sont peu développés. Les élèves africains ont pourtant besoin de se référer à des notions plus concrètes.

Les élèves me font part de leur anxiété lié au programme qui est très chargé et que nous abordons avec plus d’un mois de retard ( la rentrée nationale ayant commencée début septembre). J’essaye au mieux de les rassurer..

Côté effectif, je n’ai pas vraiment à me plaindre : j’ai une vingtaine d’élève en classe de première et seconde et un seul en terminale C, une chance inouïe pour quelqu’un qui commence à découvrir le métier d’enseignant dans un contexte différent de celui qu’il connaissait.

Après le cours, on me présente à l’ensemble des élèves du collège, lors du moment spirituel de 10h, à la chapelle. Les élèves me souhaitent, de par leurs applaudissements : un grand « Welcome »…

Mardi et mercredi 18 et 19 octobre 1994

L’enseignant fait son cours...

Jeudi 20 octobre 1994

Départ pour Douala.

Après plus d’une heure d’attente, nous embarquons dans le taxi-brousse qui nous amène à la gare de Makak. J’assiste à une première inédite : celle de mettre 8 adultes et 2 enfants dans une voiture. C’est vraiment une expérience à vivre. Lorsqu’on arrive à la gare, on est content de sortir de voiture pour s’étirer.

Le train que nous devons prendre est en retard : une chance pour nous qu’il le soit, sans quoi, nous l’aurions manqué. J’appris tout doucement, qu’en Afrique : si un blanc croit être en retard, il est souvent encore à l’heure ; et même parfois en avance !..

Si le train était à l’heure, nous n’aurions eu pour seul choix, que de revenir sur nos pas…

Fort heureusement, ce ne fût pas le cas.

Après 3 ou 4 heures de route (qu’importe nous sommes en Afrique.. ), nous arrivons à Douala, capitale économique du Cameroun. Première impression : Douala se distingue de Yaoundé par son atmosphère plus humide encore et son environnement de ville moins attrayant à mon goût.

Nous nous rendons au collège Alfred Sacker, un collège protestant qui accueille également 2 envoyés du DEFAP. Pour cela, nous prenons le taxi de ville.. Les occasions de prendre le taxi ne manquent pas en ville ; les taxis de ville sont tous jaunes et beaucoup plus spacieux et confortables. On n’y est beaucoup moins entassé.

Arrivé au collège Alfred Sacker, je fais la connaissance de Mr Nya : le censeur du collège.

Mr Nya est une personne assez exceptionnelle qui a déjà vu passer une belle brochette de coopérants au collège.. De par son humour et son humeur, il inspire confiance.

Pendant que mon Principal se retire pour aller faire quelques courses, nous faisons connaissance.

Mr Nya  me confie quelques documents pédagogiques, et me remet les programmes officiels de mathématiques, ainsi qu’une lecture variée et très appréciable, en attendant le retour du Principal.

De part sa joie de vivre, sa bonne humeur, son soucis d’intégration, des liens se tissent..

Mr Nya me présente le couple Raphaël et Agnès : deux coopérants DEFAP qui enseignent au collège actuellement et qui passent leur deuxième année à Douala.

Ce sera dans leur appartement que je serai hébergé, à chacune de mes escales à Douala.

Là encore, c’était un accueil exemplaire qui me fut offert, avec la certitude de trouver un réconfort, dans le cas où le moral venait à baisser. On me fit dores et déjà savoir que je ne devais pas hésiter à venir les voir, si j’en ressentait le besoin. Dès lors, un lieu et une présence fraternelle me sont réservés.

Après les rencontres, c’était au tour des affaires administratives : cap vers le consulat, où je découvris à nouveau, l’espace d’un instant une ambiance de vie à l’européenne…

L’après-midi, nous rendons visite à Mr Emmanuel Njike : président de la CEEVA ( ensemble des églises évangéliques qui œuvrent pour la mission ) et président des églises protestantes du Cameroun.

Chose étonnante : j’avais fais la connaissance de cet homme, en France, une semaine plutôt, dans la cuisine du DEFAP, lors de mon hébergement avant mon départ pour l’Afrique.

Alors qu’il m’avait donné l’impression d’un être simple et quelconque en France, c’est sur le continent africain que je découvris la grandeur de cet homme qui détenait une part importante du pouvoir décisionnel.

Après cette visite de courtoisie, où nous faisons part des réalités actuelles de Libamba, le Président nous informe qu’il aimerait nous revoir, en compagnie de Mr Josué Charré: le membre de l’Eglise Evangélique du Cameroun dont le rôle est de superviser et de réfléchir sur l’organisation scolaire des collèges protestants.

L’objet de cette future rencontre sera consacrée au thème qui nous préoccupe : « Libamba aujourd’hui ».

Cette proposition de rencontre, de la part du Président, constitue pour le Principal une joie inespérée.

Elle lui permettra de présenter les difficultés qu’on rencontre au collège de Libamba et de faire part des efforts et des démarches qu’il a su entreprendre  pour tenter de redynamiser le collège.

Cette rencontre pourrait également conduire vers une aide financière de la part des églises membres, qui pourrait faciliter l’éradication ou tout au moins l’amélioration de cette situation de crise.

Cette réunion sera fixée, puis reportée au surlendemain :

Samedi 22 octobre 1994 :

Après le versement de mon premier salaire, notre entretien tant attendu tient lieu.

Par l’intervention de mon principal, je découvre un peu plus, les principaux problèmes dont souffre actuellement Libamba. Les problèmes sont les suivants :

·         Le manque d’effectifs : 200 à 220 élèves dont 50 internes alors que le collège peut accueillir jusqu’à 1000 élèves.

·         L’électricité qui est actuellement inexistante, excepté le groupe électrogène qui fonctionne au grand maximum 2 heures par soir lorsqu’il ne connaît pas de défaillance. L’ancien directeur a d’ailleurs laissé une dette d’électricité qui s’élève à 9 millions de CFA ( soit 90 000 F).

·         L’eau qui n’est pas courante ( on retourne chercher l’eau à la pompe comme auparavant. )

·         La distance, l’isolement : aucun moyen de communication ou de contact avec l’extérieur ; aucun moyen de déplacement, si ce n’est la marche ou le taxi-brousse, le jour. Autant dire qu’en cas d’extrême urgence, « on peut toujours courir !»..

·         L’hygiène médicale : quelques remèdes improvisés à base de plantes.. L’infirmerie est inexistante depuis 5 ans. On se rend au dispensaire, en cas de stricte nécessité : facture oblige !

·         Le budget de l’établissement : Il n’y a même pas assez pour nourrir les élèves pendant l’année, alors ne parlons même pas de payer les enseignants qui peuvent donc difficilement se contenter de son rôle d’enseignant pour subvenir aux  besoins de sa famille (toujours nombreuse).

·         La difficulté pour les élèves, de payer leur scolarité..

Après l’énumération des difficultés que l’on peut rencontrer à Libamba, c’est à moi d’intervenir pour exprimer mon sentiment personnel et donner un regard autre, de la situation.

C’est par la voix du cœur, que je tente de me faire entendre :

N’est-il pas malheureux, de vivre avec un salaire plus que raisonnable, au milieu d’un monde qui crie famine en silence ?

Je leur exprime alors la sensibilité profonde et humaine qui me touche :

En effet, je vis un peu à l’image d’un millionnaire, au milieu des plus démunis, à la seule différence, peut-être, de souffrir de mon état de « riche ».

Je devine et je fais état de ce que le collège a dût sacrifier pour répondre aux conditions d’accueil exigées par mon organisme d’envoi.

Je tente de faire comprendre à l’auditoire que c’était peut-être là, ce qui fût pour moi, le plus difficile à accepter. Avec l’ argent sacrifié pour mon accueil, on aurait peut-être pu payer quelques tranches de salaire au personnel, à moins qu’on aurait préféré acheter de la nourriture pour les élèves…

Quelques questions avaient gagnées mon esprit :

-          en premier lieu, celle de savoir si l’on peut véritablement accepter de recevoir, sans rien donner en retour ?

-          en deuxième lieu : si donner ne résout rien, comment faire pour aider véritablement ceux qui auront tout mis en œuvre pour m’intégrer, sans jamais chercher à en profiter ?.

-          Comment peut-on se laisser servir, lorsqu’on est « envoyer pour servir » ?

-          Comment répondre humainement et humblement à tant de considérations lorsque c’est principalement le niveau financier qui me différencie d’eux ?

-          Comment réagir par rapport à ceux qui me place sur un pied d’estale, et qui m’honorent ?

Le partage de mes impressions premières et de mes interrogations me parut à la fois sain et utile à exprimer.

Toutes ces questions et ces interrogations ne me lâcheront plus pendant tout mon séjour en Afrique…

Le lendemain, à ma grande joie, nous retournons en brousse, pour rejoindre ceux que j’ai appris à connaître quelques jours plutôt. Les jours suivants, sont essentiellement consacrés à la préparation des cours.

Mercredi 26 octobre 1994 :

Après avoir vaguement entendu quelques échos au sujet de petits bobos que l’on passe sous silence, et ruminant encore mes éternelles interrogations d’ordre métaphysique, une idée m’envahi à 3 heures du matin.

Comment pouvais-je donc accepter qu’à quelques mètres de chez moi, certains souffrent de maux de têtes, de fièvres ou d’infections quelconques, alors qu’à mes côtés j’en avais pour 300 000 de francs CFA de médicaments qui ne demandaient qu’à être utilisé.

Bien entendu, je risquai de m’exposer à un certain nombre de problèmes. J’allai devoir les anticiper.

En premier lieu, il me semble nécessaire de trouver une personne de confiance, capable de déceler les besoins, de modérer les ardeurs, et de limiter les demandes .

Samuel Lindjeck ( le professeur de philo, qui m’avait accueilli à mon arrivée au Cameroun) pouvait être cet intermédiaire. Il était bien placé pour connaître les problèmes éventuels que rencontraient le personnel ou les élèves et savait agir en toute discrétion. Il avait en quelques semaines déjà gagné ma confiance et ma sympathie. Par son intermédiaire j’allai donc pouvoir aider à ma façon, dès qu’un besoin médical se présentait, en lui donnant le médicament adéquat destiné à lutter ou soigner certains maux.

Et si je rencontrai moi-même un problème de santé, j’avais encore toute la panoplie de médicaments à disposition ; et quand bien même certains médicaments viendrait à disparaître, je pourrai toujours me rendre au ministère de la coopération française et me faire prescrire les médicaments dont j’ai besoin.

C’est ce matin que je décide d’entreprendre, l’écriture de ce présent journal de bord..

Jeudi 27 octobre 1994

Mes médicaments trouvent déjà une urgence : deux abcès au niveau de la poitrine d’un élève.

Eh bien allons-y pour les comprimés à prendre et la pommade à mettre…

 

Et pour vous ce sera ?

Vous avez une douleur au niveau du cœur et de la cage thoracique ?

Mais je ne suis pas médecin !..  Si j’ai un remède ?

Eh bien je ne suis ni marabout, ni sorcier, ni tradi-praticien ; mais je veux bien essayer de voir ce que je peux faire.

J’espère tout de même qu’on ne va pas me prendre pour un guérisseur !

Peu importe nos connaissances médicales aux yeux de ceux qui souffrent, du moment qu’ils ont l’espoir de pouvoir soulager leurs maux. On n’hésite donc pas vraiment, à donner « un remède », comme ils disent..

Ce jeudi 27 octobre est également ma première lettre que je reçois de France : elle me vient de mes parents.

Vendredi 28 octobre 1994 :

Bien qu’il me faut énormément m’investir dans la préparation des cours, je prends véritablement goût à ma fonction d’enseignant.. Ma malle qui contient quelques ouvrages pédagogiques n’est toujours pas arrivée.

Pour l’heure, je n’ai donc pour principal support que mes livres de classe.

Aujourd’hui, j’ai assisté pour la première fois, à l’entraînement du groupe de choristes qui préparent les morceaux qu’ils vont chanter dimanche. C’est pour moi, une occasion particulière d’entrer un peu plus en « harmonie » avec la rythmique africaine…

Le soir, on m’informe que l’état de l’élève qui avait des abcès s’est aggravé : il a d’intenses douleurs qui lui transpercent la poitrine et deux vers se sont expulsés de l’abcès.

Je fais alors un rapprochement avec ce que l’on nous a appris lors de notre stage de préparation : certains insectes se posent sur le linge humide qu’on étend pour le faire sécher, et en profitent pour y pondre des œufs. Ces œufs peuvent se transformer en vers et entrer dans la peau, lorsqu’on remet sur soi les habits séchés, sans les repasser.

C’est peut-être ce qui s’était produit.

Il va falloir l’emmener au dispensaire demain matin, pour en avoir le cœur net.

En même temps, cela me permettra de voir les moyens matériels que dispose le dispensaire.

En attendant, je lui donne deux comprimés de Doliprane pour atténuer la douleur.

Samedi 29 octobre 1994 :

Visite du dispensaire, que certains osent appeler « Hopital » !

Pour ce qui est des médicaments, moi-même j’en dispose de plus !

Toutes les armoires sont vides, mise à part l’un ou l’autre médicament sur une étagère..

Le dispensaire ressemble un peu à une maison que l’on a abandonnée.

Lorsqu’on rentre dans la salle d’opération, on retient son souffle.

La raison profonde de cette retenue, n’est pas dans la crainte d’être contaminé par quelques virus, mais parce que l’émotion nous gagne, en entrant dans ce lieu médical préhistorique.

Qu’y observe-t-on ?

Une table métallique, peinte en blanc et des toiles d’araignées au plafond ainsi qu’un vieux meuble vide…

A ma grande surprise, l’infirmier souligna l’impressionnante propreté des lieux dans la salle chirurgicale !

Je ne partage pas du tout cette conception de propreté ! Cette salle  me fit penser à la salle de torture du Struthof..

La salle d’opération ressemble en effet bien plus à une salle de torture, qu’à une salle de chirurgie.

Les gens viennent probablement s’y faire opérer, lorsqu’ils n’ont plus raison d’espérer guérir d’une autre manière. Ils n’ont très certainement pas le moyen de se payer une quelconque anesthésie et sont donc contraint à souffrir pour espérer  s’en sortir.

Je cherche ma caméra pour filmer ces lieux misérables…

Dimanche 30 octobre 1994 :

Voilà que mon seul élève de terminale C, m’annonce qu’il va partir étudier à Makak..

Le collège de Libamba se trouve dans l’impossibilité de dispenser des cours, pour lui tout seul, pendant toute l’année.

Si le collège l’a fait jusqu’ici, c’est pour espérer que d’autres élèves viendraient s’inscrire dans cette classe.

A mon grand regret, il n’en a rien été.

Dimanche, c’est le jour du Seigneur, et en Afrique bien plus qu’ailleurs.

Nous célébrons le culte, avec l’accompagnement de la chorale, dont je fais à présent parti.

Le message spirituel me paraît bien plus, être un discours moraliste.

Mais peut-être est-ce parce qu’on s’adresse plus particulièrement à des jeunes..

Mercredi 2 novembre 1994 :                 Réunion générale de tout le personnel.

Le directeur et le gestionnaire font état des finances actuels de Libamba :

Le collège aura à charge un quart de l’effectif soit une cinquantaine d’élèves qui sont dans l’impossibilité de financer leur scolarité… Quand on sait que ce sont les élèves qui constituent le principal source de revenu du collège, on a de  quoi se poser des questions..

Le gestionnaire nous annonce une promotion spéciale concernant l’alimentation : 8 sacs de riz et de l’huile, mais il faut payer la facture dès lundi. Une avance financière est donné au personnel pour acheter chacun leur 14 kg de riz…

Rester dans la confiance en un avenir meilleur, voilà l’idée qui terminera le discours du principal avant l’ouverture au débat.

La réaction du personnel ne se fit pas attendre. Quelques questions irritantes furent jetées aux membres de la Direction. Une certaine minorité n’hésita d’ailleurs pas à exprimer leurs difficultés, en prenant les dirigeants pour cible. « Vous dites toujours attendez, ça va s’arranger. Vous promettez un avenir meilleur, mais vous faites quoi ? Le mois dernier, vous parliez de quelques 250 élèves à Libamba : où sont-ils ? » autant de questions qui peuvent devenir embarrassantes.

Le Principal réussit à éviter la grande polémique en annonçant qu’il y a beaucoup d’actions qui sont susceptibles d’être mis en place. Pour l’instant, il préfère ne pas en dire davantage, pour éviter de dire des choses qui n’aboutiront peut-être pas. Quant aux 250 élèves, ce n’était qu’une stratégie pour inciter les parents à inscrire leurs enfants à Libamba.

Pas évident de répondre à toutes les questions qui sont lancés telle une flèche.

Loin de chercher à entrer en conflit, le Principal su admirablement choisir la voie de la sagesse et le recours à la non-violence en adoptant un discours de confiance à travers une parole posée : «  Les difficultés sont là ; il faut s’entraider, se faire confiance, il ne s’agit pas de se révolter contre l’autre… Il s’agit de garder confiance ensemble, en se soutenant mutuellement ».

Après la réunion, je pars avec le censeur, en direction de Makak, pour faire connaissance des deux coopérants de la DCC (la mission catholique). L’éternel problème : l’attente d’un taxi-brousse !

Certains penseront peut-être : « Pourquoi ne pas acheter une voiture ? ».

Eh bien avant d’y songer, il serait peut-être utile de vivre les problèmes de manière à mieux les comprendre, plutôt que de vouloir entreprendre de grandes dépenses, qui n’auraient pour principale conséquence, que d’accentuer la distinction entre ma situation personnelle et celle de ceux qui m’entourent.

Pour ce qui est de mes dépenses, il y a peut-être d’autres priorités, telle l’acquisition d’un réfrigérateur, encore que avec deux heures d’électricité par jour, il ne me sera pas d’une grande utilité…

Et si je choisissais la voie de la « coopération » dans son sens initial ?, je veux dire par l’entraide.

Si c’était par l’interdépendance que je coopérais ?

Le cuisinier est la seule personne à posséder l’électricité de manière continue. Il est relié à l’alimentation électrique d’un ami qui payait ses factures électriques. Ainsi, plutôt que d’acheter un réfrigérateur, je pourrai maintenir mes aliments au frais, chez le cuisinier, en lui donnant quelque chose en contre parti.

Plutôt que d’acheter du mobilier en ville, je pourrai prendre contact, avec le menuisier du collège : là encore, l’échange serait profitable des deux côtés. De même pour l’alimentaire : achetons donc les confitures, sirop, fruits, cacahuètes, et spécialités locales à Libamba même !

C’est sans doute bien mieux d’agir ainsi, par des petites actions discrètes, plutôt que d’entreprendre d’importantes dépenses qui n’auraient que pour principale conséquence, que d’éblouir le regard des africains et de susciter le désir et l’envie…

Jeudi 3 novembre 1994

7h30 : J’attends le taxi brousse pour me rendre à la gare de Makak, afin de prendre le train pour Yaoundé.

9h45 : Enfin une occasion de prendre le taxi.. Mais le train, s’il n’est pas en retard devrait être sur le point de partir.. Qu’à cela ne tienne, qui ne risque rien n’a rien : je tente le tout pour le tout, espérant que le retard africain me portera chance, une fois de plus ; et ce, même s’il n’y a que peu d’espoir.

10h15 : Arrivée à la gare de Makak ! Ouf ! ! le train accuse un retard d’une demi-heure, comme quoi, le rythme africain a parfois du bon ( mais parfois seulement !)

Si le train était déjà passé, je n’aurai plus qu’à reprendre le chemin du retour vers Libamba.

11h30 : Le train arrive à Yaoundé où m’attends Samuel Lindjeck qui était parti la veille. Samuel me ramène au centre médico-social, pour ma piqûre mensuelle (piqûre de désensibilisation aux acariens).

J’en profite pour faire un ravitaillement médical : on me remet notamment un antidote, à mettre au frais et à emmener en brousse, en cas de morsure de serpent.

13h30 : C’est pour moi, le retour vers Libamba, toujours par rails (et le moral sur les rails !).

Voyageant seul, je préfère poursuivre mes déplacements en première classe.

13h45 : Le train s’arrête dans une gare, et le contrôleur refuse de donner l’ordre de repartir.

La raison est la suivante : il y a trop de militaires dans le train, et ils ne payent pas leurs billets.

15h : Après plus d’une heure de négociation, l’énervement des autres voyageurs se fait sentir ; puis le train fini tout de même par repartir.. ( Ce n’est pas trop tôt ! ).

A toute les gares, on en profite pour faire son petit commerce : on appelle une personne en indiquant le nom de l’aliment que l’on aimerait acheter. Ainsi, l’expression «  Hé, banane !» n’a rien d’une insulte.

La personne concernée se présente alors avec l’aliment en question sur sa tête et c’est le marchandage à travers la fenêtre du train. Une fois qu’on tombe d’accord sur un prix, la transaction s’effectue…

A remarquer que le train n’attends pas forcément la fin des transactions ( ni même la montée ou descente de tous les voyageurs !). Il peut donc arriver que l’échange n’est fait qu’à moitié. Pour exemple, alors que le train est entrain de s’avancer, un voyageur peut avoir pris des aliments, sans avoir assez de temps pour payer sa marchandise ou rendre le récipient qui lui est confié et qu’il doit rendre..

C’est toujours un drame pour la personne qui attend l’argent ou le retour du récipient. Ce commerce de quelques minutes est le gagne pain de la journée !..

Je me souviens de cette petite fille d’environ 8 ans, qui courait sur le quai, aussi vite qu’elle le pouvait, criant derrière le train qui s’éloignait, qu’on lui rende l’assiette qui a servi à donner les aliments. Cette assiette à priori banale, lui servait de gagne-pain et lui permettait de faire son petit commerce…

16h : Je descends à Makak, alors que j’aurai du descendre à la prochaine gare : celle de Minka qui est beaucoup plus proche de Libamba. Reste à espérer qu’une occasion de taxi se présente, et à prix raisonnable !.

A la gare de Makak, je fais la connaissance de David, un missionnaire américains, qui travaille pour les Pères, à Libamba. C’est la sixième semaine qu’il est à Makak, et certains enfants de Makak le connaissent déjà…

C’est pour moi, une occasion de sympathiser avec de nouvelles personnes, pendant l’attente d’un taxi.

Vers 17h30, avec un nouvel ami que j’appris à connaître, je décidai de rejoindre Libamba à pied, en suivant la voie ferrée ( eh oui, les gens ont l’habitude de longer les rails ! )…

Mais l’orage s’approche et il devient imprudent de s’aventurer près des lignes électriques.

Nous quittons la voie ferrée pour nous abriter auprès d’un toit de fortune ( un simple toit en tôle ondulée, mais très appréciable),  lorsqu’une pluie torrentielle se déverse.

Nous en profitons pour discuter, mais avec le bruit de la pluie qui martèle la tôle nous avons du mal à nous comprendre… Mon compagnon de route connaît bien le cuisinier du collège (hydrocarbure) et quelques enseignants. Il me donne sa vision quant à la situation actuelle du collège...

La nuit est à présent tombée et nous poursuivons notre route. Les éclairs qui s’éloignent éclairent notre chemin, nous évitant de marcher dans les flaques d’eau.

Quelques kilomètres plus tard, nous arrivons à la maison de mon guide de la soirée.

Après un petit moment de pause, le temps de chercher sa lampe de poche, il me raccompagne vers le collège jusqu’à ma maison que je lui fis découvrir..

On peut dire que pour moi, cette journée fut une merveilleuse aventure : le matin, je n’avais encore aucune idée de ce que la journée allait me réserver. Au fil de mon parcours, j’avais eu la chance d’avoir successivement, les guides appropriés qui me permirent de poursuivre mon chemin.. C’est dans ces moments là, que l’on se sent pleinement exister et vivre une aventure extraordinaire... Je remercie mon guide pour le temps qu’il m’avait consacré. Le plaisir semble partagé. Avant de rejoindre sa famille, il m’invite à passer le voir lorsque je le désirai.

Après les salutations, je prends mon repas du soir à la lueur d’une lampe à huile, le groupe électrogène n’étant pas (ou plus) en service. Je reçois encore la visite du Principal qui s’inquiétait à mon sujet.

Vendredi 5 novembre 1994  :

C’est le temps des devoirs à donner et des premiers contrôles à corriger..

C’est également le premier jour où je réceptionne une quantité assez impressionnante de lettres provenant de France.

Samedi 6 novembre 1994  :

Répétition de la chorale Hawrick ( nom donné en mémoire de la fondatrice de la chorale).

Il y a vraiment beaucoup d’ambiance et d’enthousiasme dans cette chorale : ça fait vraiment plaisir !..

Assez impressionnante également cette façon que les gens ont de mémoriser des morceaux inconnus et de les compléter en improvisant ou créant des voix d’accompagnements.. Je suis subjugué !

Pendant la répétition, je fis connaissance de Samuel Njock, dont j’avais l’adresse : il est le frère d’un africain que j’ai appris à connaître en France, peu avant mon départ pour l’Afrique. Son frère qui vit en France l’avait informé de ma venue.. Leur mère est d’ailleurs aide-soignante au dispensaire de Libamba…. Comme le monde est petit !.

Bien qu’en pleine brousse, je suis désormais déjà loin d’être isolé..

Dimanche 7 novembre 1994  :

A la sortie du culte, je fais la connaissance du Pasteur Libouga de Makak : je l’interroge sur les problèmes de Libamba, et il me fait également part, des réalités que le Principal et Samuel Lindjeck (le professeur de philosophie) ont essayé de partager avec moi .

Peut-être serait-il à présent utile d’entreprendre une explication plus substantielle sur les problèmes du collège, de manière à ne pas laisser le lecteur dans une certaine frustration. Toutefois se développement nécessite un effort d’analyse et de recul que je n’ai peut-être pas encore après ces quelques semaines passées à Libamba.

Il semblerait donc, à en croire le témoignage des personnes rencontrées, que l’origine du problème reposerait dans le désir du pouvoir. En effet, plutôt que de lutter réellement pour le bon fonctionnement du collège, certaines personnes s’étaient mis à provoquer des conflits pour accéder aux hautes responsabilités : responsabilités administratives, financières et responsabilités de direction.

Ce genre de pratique constitue  hélas la plus grandes des maladies africaines : en tentant d’accéder au pouvoir, les gens espèrent avant tout, s’enrichir  financièrement. En tant qu’européen notre réflexe premier serait de s’indigner contre ce genre de pratique qu’on pourrait qualifier de « primitive », mais quelque part, n’est-ce pas l’homme blanc qui a transmis, qui stimule et qui impose encore aujourd’hui, cette conception du progrès et de la réussite ?

Mais revenons-en à l’homme du jour : Monsieur Libouga

Ce pasteur m’explique que la coopération n’est pas une affaire de quelques années : il faut bien plus qu’une génération pour espérer mettre sur pied un véritable développement.

Avec une aide à court terme, la moindre panne de moteur ( au sens pratique, comme au sens théorique) fait obstacle à l’évolution qui s’était entreprise. C’est ainsi qu’on en vient à marcher à reculons et que l’évolution de jadis fait place à la révolution !

C’est un peu ce que le collège à vécu ces dernières années…

Je lui demande s’il imagine une amélioration possible pour le collège.

Il me parle alors du domaine agricole.

Cette idée qui me parut très saine m’amena vers un terrain de réflexions fertile, et fit germer la graine dans mon esprit enrichi.

En effet : il y a tant d’espaces cultivables qu’on pourrait exploiter avec un peu de volonté et de motivation.

Plutôt que de faire couper de l’herbe aux élèves, ils pourraient consacrer un peu de leur temps à mettre quelques terres en culture. En compagnie d’un encadrement approprié, les élèves pourraient s’instruirent dans ce domaine de production qui pourrait également faire profiter le collège, limitant ainsi ses dépenses alimentaires.

A forte productivité, on pourrait même imaginer réussir à vendre à l’extérieur, ce qui permettrait une rentrée d’argent pour le collège…

Cette idée mérite d’être creusée : bien entendu, on se heurtera à quelques problèmes :

Le collège n’est pas un lycée technique ou agricole, aussi ne pourra-t-on pas trop consacrer de temps au travail de la terre. D’autre part, l’agriculture tropicale nécessite la recherche d’ouvrages appropriés, destinés à minimiser les difficultés qui risquent de se présenter. Il faudra par exemple prendre soin de mettre les cultures à l’abri de certains rongeurs, mettre en place une pépinière, analyser la qualité du sol, trouver des engrais appropriés,…

En dehors de ses heures pastorales, le pasteur Libouga s’est impliqué (avec quelques « disciples ») dans un tel travail qui porte du fruit. Grâce à son initiative, il arrive à subvenir à ses besoins sans véritablement souffrir de la crise. Il a même crée un petit marché local qu’il ouvre quelques heures par semaine. Ce petit commerce permet aux gens de s’approvisionner sans avoir à payer les frais de transport jusqu’à Makak. 

En matière d’agriculture, il a également quelques expériences : il se spécialise d’ailleurs dans le maïs.

Il s’est lancé dans ce domaine, il y a quelques années, de manière modeste : « rien ne sert d’entreprendre au départ, de grande production. Il faut débuter de manière expérimentale pour observer les problèmes que l’on peut rencontrer et voir comment y faire face. Pour de grandes entreprises, les petites erreurs sont tout de suite multipliées…

Il s’est également intéressé à la tomate : il achète une variété spéciale de graines capable de mieux résister aux conditions tropicales. Profitant de son expérience et de l’occasion qui m’est dut, je lui demande s’il pouvait m’apporter un sachet de ce type de graines, histoire de tenter moi-même cette expérience de l’agriculture tropicale.

Il répondit par l’affirmative, après quoi nous nous saluâmes. A peine parti, j’étais déjà impatient de le revoir pour commencer à mettre en place ma pépinière.

Lorsque Samuel me rendit visite, il m’encourageait également de tenter l’expérience.

Samuel lui-même cultivait et récoltait quelques tubercules, des fruits et légumes.

Mon projet d’expérimentation de l’agriculture en milieu tropical était désormais lancé…

Mercredi 9 novembre 1994 :

Je me rend avec le professeur d’histoire à 1 km du collège pour aller retrouver le pasteur Libouga qui tient son petit commerce, quelques heures le mercredi et le samedi, ravitaillant les habitants de Libamba.

Les personnes sont ravis de l’initiative du pasteur. Ils évitent ainsi les frais de taxi, le temps d’attente ; et les prix sont même  moins cher qu’à Makak!

Pendant le trajet, le prof d’histoire me parla de la ferme-école : une ferme juste un peu plus loin, où travaillaient certaines personnes. Cette ferme est à présent délaissée. On aperçoit encore quelques vestiges des bâtiments qui constituaient cette ferme-école.

Ah, si la ferme-école pouvait encore ou de nouveau exister !.. Elle parviendrait sûrement à redonner un peu de souffle au collège. Dire que l’espace cultivable ne manque vraiment pas : une vingtaine de hectares de terre est désormais laissé à l’abandon… Pour pouvoir produire véritablement, il serait utile d’ouvrir ou de rouvrir une section technique à Libamba. Bien entendu, l’ouverture de cette section demanderait également un grand investissement initial ainsi qu’un personnel motivé et compétent. Ce n’est donc probablement pas encore demain que l’on pourra songer à concrétiser cette ouverture. Mais, l’idée mérite d’être creusée (et la terre d’être labourée !..). Plutôt que d’espérer voir arriver un important soutien financier qui n’aurait pour principal but que d’aider à court terme (et de risquer ainsi de reproduire des erreurs déjà commises dans le passé), cette voie permettrait d’entrevoir une action durable et valorisante pour l’avenir. Toutefois un soutien financier me parait malgré tout nécessaire, si l’on souhaite se lancer dans un tel projet…

Samedi 12 novembre 1994  :

Je fais part à mon ami cuisinier (hydrocarbure), de mon intention de tenter l’expérience d’une petite plantation de tomates. Il m’encourage, lui aussi à tenter l’expérience. S’y connaissant également un peu, il pourra également m’apporter son expérience et son savoir-faire. Il en profite pour mettre en avant les principaux problèmes que l’on peut rencontrer, tels que : la qualité et la nécessité d’enrichir le sol, l’invasion des sauterelles et autres insectes, l’entretien ( protection, arrosage, etc..) et les risques de vols.

Une idée intéressante serait peut-être aussi de sensibiliser ou d’insérer quelques élèves de première dans un tel projet, pour tenter ensemble l’expérience qui pourrait éventuellement s’élargir…

Dimanche 13 novembre 1994 :

David, le jeune missionnaire américain qui s’occupe de l’élevage des tilabias (pisciculture), me rend visite : un moment agréable que nous poursuivons chez hydrocarbure, le cuisinier.

Samedi 14 novembre 1994 :

Samuel me fait part des problèmes que connaît l’école primaire. Les problèmes s’apparentent beaucoup à ceux du collège. Avec son soutien, la directrice envisage de sensibiliser les anciens élèves en espérant un soutien de leur part. La situation s’annonce, là aussi très rude.

Mercredi 16 novembre 1994 :

Pendant le lever des drapeaux (qui a lieu tous les mercredi), les élèves chantent l’hymne national :

« Au Cameroun, berceau de nos ancêtres,

Vas debout et joyeux de ta liberté

Comme un soleil, ton drapeau fier doit être

D’un symbole de joie, d’amour, et d’unité..

Tous les enfants du Nord au Sud,

De l’est à l’ouest à tout amour..

Que ce soit là notre seul but..

De construire vraiment bien tout nos jours.

Chère Patrie, terre chérie

Tu es notre seule et vrai bonheur

Notre joie, et notre vie..

A toi l’amour et le grand honneur ».

Après quoi, le surveillant général fait connaître le règlement intérieur : là encore, le règlement est strict.

Les sanctions sont plutôt sévères (elles vont jusqu’aux flagellations, en cas de trouble public)

En fait, toutes les règles sont axées sur le travail, les études : beaucoup de sentiments de contraintes, d’obligations, à mon goût..  Lorsqu’on écoute toutes ces règles, elles sont tellement strictes qu’elles me semblent difficilement applicables (à la lettre).

Cette année (petite nouveauté) a été élu un comité des élèves. Ce comité a pour but premier, d’instaurer un dialogue entre les élèves et les dirigeants et faire état de certains problèmes rencontrés.

Un effort est donc réalisé pour tendre vers la démocratie.

Soulignons toutefois que le Président du comité n’est que le neveu du Principal…

Mardi 22 novembre 1994

Je pars à Yaoundé, pour une réunion au sujet de la coopération militaire.

7h30 : J’ai la chance d’avoir un taxi qui m’emmène à la gare de Makak.

J’attends 2h à la gare où j’en profite pour préparer mes cours assis sur le bord du quai.

Vers 10h, un des coopérant de la DCC me rejoint et le train arrive en gare.

Arrivé à Yaoundé, nous faisons quelques courses ensemble, puis nous nous séparons.

Il me faut à nouveau me rendre au centre médico-social de la coopération française, pour une nouvelle injection. J’en profite pour questionner le médecin au sujet de certaines précautions à prendre et certains médicaments à donner dans le cas par exemple d’une personne émaciée, qui a depuis plus de deux ans, une plaie qui ne se ferme pas. Il me prodigue ses conseils qui pourront être utiles et me prescrit certains médicaments qui pourront soigner certains de mes nouveaux compatriotes. Je le remercie…

En repartant, je ne fait pas 100m, que je rencontre mon prochain guide qui se trouve là par hasard…

Grâce à lui, j’allai pouvoir nouer une nouvelle relation.

C’était un étudiant en psychologie. Il m’expliquait qu’il allait bientôt partir en France pour y poursuivre ses études. Il passa trois heures en ma compagnie et tout en faisant les courses, nous discutâmes de bien des choses : le développement, l’œcuménisme,  Guy Gilbert : le célèbre prêtre des loubards etc..

Il me parlait également de son projet personnel : celui d’organiser des circuits touristiques pour des groupes européens qui désiraient visiter l’Afrique à moindre frais.. Il est originaire de Yaoundé et a beaucoup de connaissances et de contacts avec le milieu catholique.

Je trouvais son projet digne d’intérêt, même s’il nécessitait une extrême confiance.

Avant de nous séparer en échangeant nos adresses, je lui laissais un film diapos, à envoyer en France (le développement des diapos étant trop cher au Cameroun).

C’était une occasion pour moi, d’agrandir la confiance, de celui qui, par ses actes, ses connaissances, son savoir-vivre et être, à su me consacrer du temps, sans pour autant attendre une récompense démesurée… du moins c’était l’impression qu’il me laissait en mémoire.

Le deuxième moment de la journée, je le passais en compagnie de la direction de la coopération française qui nous avait réunie pour une journée de rencontre.

Les thèmes de réflexion que nous abordons sont les suivants :

-          Comment réagir en cas d’agression ?

-          Que faire lorsqu’on nous donne des amandes sans fondements ? des contraventions farfelues ? lorsqu’on se fait escroquer ?

-          Que faire si la police locale cherche à confisquer nos papiers officiels espérant réussir à nous soutirer de l’argent ?

On nous fit également un petit aperçu de l’état camerounais :

Les américains et les allemands se désengagent au Cameroun, ce qui fait que la France devient le premier partenaire du Cameroun .

On nous explique la défaillance de l’Etat camerounais : problème de la gestion des ordures, du domaine scolaire, de la santé etc..

Des acteurs innovants (étudiants, parents d’élèves) essayent de faire face à la crise, en se prenant en charge et en cherchant des solutions. Il s’agit d’encourager ses nouveaux acteurs, de les conseiller vers une voie qui leur serait profitable à long terme.

En ce moment, c’est une période de transition, de mutation qui fait prendre conscience, à certains africains qu’il s’agit de changer de méthode en retroussant ses manches et se mettre au travail.

L’effet de la dévaluation du franc CFA invite les africains à se prendre en charge.

La dévaluation du 11 janvier 1994 décidée à Dakar est d’une énorme conséquence pour l’Afrique :

-          Pour le Cameroun, elle constitue une sanction économique, un rappel à l’ordre pour mieux relancer la machine.

-          La dévaluation directe à 50% évite deux dévaluations successives. Toutefois, l’amputation de salaire d’un actif est considérable : d’abord –20%, puis –50% sans oublier la hausse des prix…

L’Africain moyen a à présent 15 à 20 % de son pouvoir d’achat de l’année 1993.

Les relations et la solidarité africaine permettent toutefois de résister à la crise.

L’Etat occidental veut suivre scrupuleusement les engagements des autorités camerounaises, pour éviter la malhonnêteté et le désengagement. Il n’hésite pas à faire des rappels à l’ordre, ce qui engendre parfois, un dialogue difficile..

Il est important de refuser de s’engager de manière aveugle.

Certains coopérants évoqueront les intérêts économiques de l’Europe en Afrique (aluminium, brasserie, bois,..) mais l’intérêt semble avoir considérablement baissé.

Le soir, je dors dans un hôtel de la capitale, aux frais de la coopération française.

Mercredi 23 novembre 1994

Je me renseigne sur l’avancement de ma malle, et on m’annonce qu’aujourd’hui même, elle voyage par l’autorail en direction de Libamba.

En rentrant, elle est bien là. Enfin ! Et tout y est, en bon état ! C’est parfait ! Enfin un peu de musique, à présent..

Cela s’apprécie, au fin fond de la brousse africaine : un vrai délice !

Je vais également avoir à présent, un peu plus de rendement dans mon courrier puisque je possède à présent du papier carbone. Je redécouvre à présent, l’utilité du papier carbone.

Samedi 26 novembre 1994

Match de foot et de volley : Libamba-Makak.

Dimanche 27 novembre 1994 :

C’est la première fois que je me rends à l’école du Dimanche. Je suis étonné par le nombre d’enfants présents ; par l’enthousiasme et l’intérêt qu’ils portent quand au spirituel. Je suis profondément ému, lorsque j’entends une prière improvisée d’un enfant de 6 ou 7 ans. Cette facilité de trouver les mots, et la formulation des phrases improvisées révèlent une grande connaissance et pratique de la spiritualité.

Je crois que si nos paroisses européennes entendaient ces prières d’enfants, elles seraient émerveillées.

Les chants du l’école de dimanche sont très rythmés et souvent accompagnés par des gestes.

Lorsque je leur apprends un nouveau chant, ils n’éprouvent aucune peine à le mémoriser.

Au milieu du culte, nous sortons de la salle pour faire quelques jeux à l’extérieur, ainsi que des chants qui demandent un peu plus de mouvements.

De retour dans la salle, les enfants sont interrogés sur les notions apprises, la semaine dernière.

Puis vient la leçon du jour. Elle porte sur les différentes phases de la prière : louange, confession des péchés, intercession, demande, adoration.

Cette matinée passée en compagnie des enfants, fut enrichissante et l’accueil chaleureux. Une nouvelle fois, j’allai pouvoir continuer à tisser des liens, en partageant des chants, histoires et jeux européens avec ces petits enfants de brousse.

L’après-midi du dimanche se passe chez Charlotte, la secrétaire du Principal. Nous fêtons son anniversaire, avec les membres du groupe biblique.

Là aussi, beaucoup d’ambiance : textes, chants chrétiens sur lesquels nous dansons, sketchs improvisés, témoignages, prières, louange etc.., sans oublier la collation finale.

En soirée, nous nous retrouvons avec l’ensemble du personnel, chez Mr Njiki l’aumônier, pour clore la cellule de prière de ce mois. C’est une des première fois, semble-t-il, que l’ensemble du personnel se retrouve ainsi, dans la prière commune.

En se référant aux versets bibliques : « Là où deux ou trois sont rassemblés en mon nom, je serais au milieu d’eux » et « Si tu as fais du mal à ton frère, laisse là ton offrande et vas d’abord te réconcilier avec ton frère puis reviens et présente alors ton offrande », il s’agit pour les membres du personnel d’entreprendre une réconciliation.

Libamba semble en effet avoir connu ses derniers temps, beaucoup de tensions internes dont la situation de crise n’est pas seule responsable. 

Le mot d’ordre est donné : œuvrons pour la paix ; brisons nos murs et nos barrières qui nous séparent en cherchant l’unité afin de lutter et d’améliorer la situation actuelle du collège.

Un formidable départ vers la voie de la réconciliation est entreprit.

Puisse l’Eternel écouter ce message et parachever cette recherche d’harmonisation et de cohésion.

La fin de la soirée fut consacrée à la découverte de certains talents (dancing, Rapp, chants..), puisque les élèves avaient organisés une soirée récréative.

Seul petit regrêt : nous n’avons assisté qu’à la dernière demi-heure.

Mais la réunion qui précédait était vitale pour l’avenir du collège… Ainsi donc, pas trop de regret.

En tous les cas, ce dimanche fût autant chargé que mémorable.

Lundi 28 novembre 1994 :

Mon filtre à eau est à chercher à la poste de Makak.

Mardi 29 novembre 1994 :

Le pasteur Libouga m’ayant à présent apporté les graines de tomates que je lui avait demandé, il me donne quelques conseils pour me lancer dans ma modeste culture.

Il me suggère de construire ou de faire construire une clôture de manière à empêcher les poules, les chèvres et autres animaux, de déterrer le sol.

Il m’explique que la construction d’une telle clôture nécessite le déplacement dans la forêt tropicale : il faut chercher le bois et les branches adéquates. Il serait donc préférable qu’une personne qui connaît la forêt tropicale s’en charge. Je lui ai alors demandé s’il connaissait quelqu’un qui pourrait s’occuper de ce travail.

Ce même soir, un ancien employé de la ferme école vint me voir.

Son nom : James Bikoko. Il venait de recevoir un enfant et s’excusait de venir un peu tard.

Il m’apprit qu’il était également le père d’un de mes élèves de seconde.

Autrefois, il travaillait à la ferme école, aujourd’hui, il s’occupe de petits travaux au collège, tel couper l’herbe avec la participation de certains élèves.

Lorsque nous abordions le thème de l’agriculture au collège, il m’expliqua que pour tenter d’encadrer les élèves dans le travail de la terre, il fallait du personnel qualifié : autant sur la connaissance pratique, que la capacité à transmettre le savoir. Si l’on ne possède pas ces deux qualités, des tensions entre l’ouvrier et l’apprenti élève risquent très vite de naître.

A travers cet homme, je découvris un peu plus l’univers de l’homme africain.

Ce qui semble manquer à l’homme africain, c’est peut-être ce souffle qui pousse les hommes vers une action concrète et commune à partir de moyens disponibles...

L’africain n’aime pas trop regarder la rentabilité à long terme.

La vie présente lui semble déjà suffisamment incertaine.

A quoi bon, faire des projets à long termes, lorsqu’ils n’aboutissent pas ?

A quoi bon s’investir, lorsqu’on risque de ne pas obtenir le fruit de son effort ?

Tels sont en effet les pensées intimes et peut-être même légitimes de certains employés lassés par tant de projets ambitieux qui peuvent avorter à tout moment :

Une maladie, un changement de direction, une dévastation, un vol.. peuvent mettre un projet à néant !

Nous terminons notre discussion en définissant les tarifs des travaux : 3 000 CFA, soit 30 F(vraiment pas exagéré).

Le reste de la soirée fût consacré à la préparation des compositions de fin de trimestre qui commenceront la semaine du 13 décembre et qui doivent être tapées à la machine, par la secrétaire.

Jeudi 1ier décembre 1994 :

Les élèves de troisième sont chargés de me déblayer le sentier qui mène à ma porte d’entrée, ainsi que d’ôter l’herbe et les fourmilière autour de ma maison. Je leur donne un coup de main à leur plus grande surprise. Normal de les aider, d’autant plus que ce serait plutôt à moi de faire ce travail. Mais eux, il s’agit d’une matière qu’ils appellent « travail manuel » et qui est notée. Ainsi, les garçons coupent l’herbe, et les filles déblayent à l’aide de petites pelles, le sentier. A la fin, je les remercie pour leur travail alors qu’eux me remercient pour l’eau que je leur est donné (c’était la moindre des choses à donner pour un travail aussi pénible, sous un soleil de plomb).

Après le travail manuel, je me rend en salle de classe pour animer la première séance du club scientifique nouvellement crée.

Vendredi 2 décembre1994 :

C’est la répétition générale de la fête de Noël traditionnelle ; fête que les anciens connaissent bien et qui aura déjà lieu demain (pour une fois qu’on est en avance en Afrique ! !).

Les élèves ont la liberté de créer par petit groupe, une pièce de théâtre, un sketch, un chant ou une autre animation se rapportant à Noël.

Samedi 3 décembre1994

Deux personnes de l’UNICEF viennent parler de santé et d’hygiène.

C’est à travers une animation participative que les questions et les problèmes se posent.

Nous relevons les questions que se posent les élèves :

·         Le Sida, existe-t-il vraiment ? Comment se transmet-il ?

·         A qui revient le rôle éducatif au sein de la famille ?

·         A quel âge pensez-vous qu’il faut parler à l’enfant de la sexualité ?

·         Quelles sont les maladies les plus fréquentes, à Libamba ? etc..

autant de questions essentiels qui furent développées.

Dommage que peu d’élèves étaient présent lors de cette information pourtant indispensable selon moi…

En soirée, comme on l’avait programmé, c’est la fête de Noël traditionnelle.

Pour la première fois, je vois l’Eglise de Libamba remplie.

Des anciens élèves, des amis, et des parents d’élèves se sont spécialement déplacés pour assister à cette fête qui fut passionnante et animée (instruments, poèmes, chants, texte biblique, chorales, sketch…).

De mon côté, par l’intermédiaire d’un monologue que les gens ont appréciés, j’ai apporté une petite image de Noël en Europe… Les idées, l’animation et les créations ne manquèrent donc pas.

Seul regret : l’éclairage et la sono qui sont inexistants ou presque.. Nous nous sommes éclairés à l’aide de quelques bougies. Quand à la voix, elle se perdait dans le cœur de l’Eglise.

Ah, si nous étions équipé d’un matériel technique un peu plus adapté !…

Celà en vaudrait bien la peine…

Dimanche 4 décembre1994 :

Quelques personnes, qui s’étaient déplacées spécialement pour la fête de la veille, sont restées.

Ce fut le cas notamment pour les enfants d’un pasteur de Yaoundé (ancien élève de Libamba), qui chantèrent à 5 voix quelques mélodies émouvantes.

La prédication fut d’ailleurs effectuée par ce pasteur qui nous parle de Libamba lorsqu’il y était élève.

Il ressassa l’histoire des missionnaires américains qui voulaient fonder une station missionnaire, cherchant à créer un grand institut formant des étudiants africains.

Il nous parla

·         du coût de la construction des locaux :

14 millions de CFA pour l’Eglise, 2 x 7 millions pour les bâtiments éducatifs.

·         De l’effectif des élèves qui était 6 à 7 fois supérieur à l’effectif actuel

·         De l’impressionnant vieillissement apparent de Libamba aujourd’hui , idée qu’il développa dans son sermon.

« On dit parfois que les yeux de Dieu sont trop purs, pour qu’il voit la douleur des hommes ; mais n’est-ce pas les yeux des hommes qui sont parfois trop corrompus ou trop critiques ? »

Il illustra son idée, par le portrait d’un couple de longue date où la femme avait passé 5 heures de suite, à énumérer les défauts de son mari. Après ces 5 heures de critique, le mari plia ses bagages et expliqua à sa femme que si elle ne voyait en lui que ce qui est mauvais dans sa personne, il allait devoir la quitter pour ne pas la rendre plus malheureuse encore.

Combien de fois, en effet, voyons-nous en l’autre que ce qui nous blesse…

Libamba souffre également de ce mal : des réflexions critiques plus destructrices que constructives restent présentes. Il paraît donc utile, et même indispensable, de mettre à la lumière les instants de joie en relevant les éléments positifs, afin de mieux reconstruire…

Lundi 5 décembre 1994 :

Samuel, (à qui je donne certains médicaments destinés à soigner les élèves) me fait savoir qu’il souhaiterait peut-être, pendant les grandes vacances, passer 2 mois en stage, dans un hôpital, pour avoir de meilleures connaissances en matière médicale. Son intention s’explique par le fait que les médicaments que je lui confie, s’avèrent souvent très utile ; et vu les problèmes actuels du collège, ce serait important de s’y connaître un peu plus dans ce domaine.

Décidément, ce philosophe m’étonnera toujours ; et pour cause, il s’occupe de tant de choses : santé, spiritualité, surveillance, secrétariat, culture, couture, et j’en passe…

Bref, c’est une personne qu’on gagne à connaître; un gars remarquable autant par son énergie, que par son dévouement.

Il est prêt à affronter pour vous, chaque difficulté que l’on viendrait à rencontrer, sans même attendre de récompense en retour. Bref : un de ces chrétiens que l’on aimerait rencontrer plus souvent et qui, fort de ses convictions, œuvre et lutte pour un meilleur avenir.

Il aimerait également continuer les études peut-être en théologie, en tous les cas, en philosophie, et pourquoi pas aussi en médecine, qui sait.. 

Si on lui en donnait la possibilité, il pourrait peut-être un jour, remplacer le Albert Schweitzer de Lambaréné.

Ah, s’il pouvait obtenir une bourse d’étude : ce serait magnifique et mérité…

Mardi 6 décembre 1994 :

Aujourd’hui, j’eus la visite du surveillant général et du professeur d’allemand. Son fils souffre d’infection urinaire.

Après leur avoir donné le nécessaire, nous discutons du passé et de l’avenir de Libamba.

Là encore, on me fait comprendre qu’aujourd’hui, vu les problèmes actuels, chacun pense d’abord à son ventre et à sa santé. Ainsi est-il difficile d’entreprendre de grand projet : la faim justifie les moyens…

Concernant la santé, leur principal remède, c’est la prière. On a également recours aux soins traditionnels ( « à l’indigène »).

Mais s’il arrivait réellement quelque chose de grave, il ne pourrait pas être en mesure d’y faire face…

Mercredi 7 décembre 1994 :

Réunion entre professeurs de mathématiques.

Ordre du jour :

-          Etat de l’avancement du programme

-          Les problèmes de transmission des cours

-          Les différentes méthodes d’évaluation

-          Comment intéresser les élèves en mathématiques

-          Comment faire participer les élèves

-          Conformité des cours faits aux programmes officiels

-          Utilisation rationnelle du tableau

-          Quelques stratégies pour le cas des classes d’examen

-          L’intérêt de la collaboration entre les professeurs

-          L’élaboration d’un organigramme de travail.

Un partage intéressant avec les enseignants de leur méthode de travail…

Jeudi 8 décembre 1994 :

Conseil des classes de 6ième et 5ième

Pendant le conseil de classe, un enseignant montre son indignation contre certaines pratiques du collège.

Il met notamment au grand jour, l’affaire des faux bulletins, affaire jusqu’ici passée sous silence.

Il montre son indignation contre certaines personnes à double visage et fait part au principal et à l’assemblé, des échos négatifs qui lui ont été transmises à Yaoundé. « Pendant que nous faisons le conseil de classe, d’autres personnes font conseil de classe à leur manière : en élaborant de faux bulletins ! »

Rappelons que le Principal a pris ses fonctions l’année dernière. Il a eu d’ailleurs beaucoup de mal à s’installer.

Lors de son installation, certaines personnes en auraient profité pour faire disparaître certains documents (factures, blocs de bulletin…). Ainsi existe-t-il de façon certaine ; des feuilles de bulletins, qui ont été utilisés à mauvais escient.

Peut-être même que certains blocs ont été mis de côté lors de leurs impressions.

De nombreux faux bulletin ont été ainsi découvert ces deux derniers mois, dans plusieurs collèges : Alfred Sacker (à Douala) ; Collège Sacré Cœur (à Makak), à Eséka, et même à Yaoundé !.

Le plus insupportable, c’est que derrière les problèmes que connaît le collège, certaines personnes s’enrichissent en élaborant des faux bulletins ; alors que d’autres enseignants, plus respectables en subissent les conséquences.

Le Principal nous fait savoir qu’il a déjà commencé à prendre certaines dispositions : demande d’un nouveau cachet du collège et réimpression de nouvelles feuilles de bulletin.

Faute d’électricité, la séance fut levée et reportée au lendemain soir..

Vendredi 9 décembre 1994 :

Suite du conseil de classe..

Cette fois-ci encore, l’histoire des faux bulletins est remis sur le tapis.

Le censeur se voit accusé et montre son indignation au Principal quant aux propos déplacés d’un enseigant.

Les tensions se calment après l’intervention du Principal qui fit savoir que l’on ne se réunit pas pour jeter la pierre à qui que ce soit. Il s’agit de trouver des solutions aux différents problèmes.

Ce fut aujourd’hui aussi, le dernier cours de l’année. J’en profitais pour faire un bilan avec mes élèves des deux mois passés, des difficultés rencontrées à l’intérieur ou en dehors du cours.

Le problème alimentaire :

Ne connaissant pas véritablement la vie de nos internes, certains problèmes furent évoqués notamment le problème de l’alimentation.

En effet : le levé des élèves est à 6 heures du matin. On va en cours sans manger et ce, jusqu’à 10 heures où un maigre jus vous est servi. Ceux qui ont un peu d’argent peuvent s’acheter quelques beignets ou une banane à moins qu’ils ont ramenés des provisions de chez eux ; les autres attendront la fin des cours (soit 15h30) où le premier repas de la journée leur est servi. Ce premier repas de la journée est constitué principalement de bâton de Manioc et de riz. D’autre part, les rations ne sont jamais les mêmes. Parfois, il ne reste plus de part pour les derniers arrivants. Les plus grands (plus respectables et responsables) se sacrifient alors en partageant leur nourriture.

Une personne m’expliquait que lorsqu’il n’y a pas assez à manger, elle préférait ne pas manger du tout et donner sa nourriture aux plus petits. Etant l’aînée de la maison, elle avait l’habitude, disait-elle, de donner sa part à ces frères et sœurs lorsqu’il n’y avait pas assez à manger.

Cette élève de première joue un peu le rôle de mère, pour certains interne de 6 ou 5ième : je peux en témoigner.

C’est elle qui garde précieusement l’argent de poche de quelques enfants et qui se soucie de leurs besoins. Inutile de préciser qu’elle attache beaucoup d’importance aux valeurs spirituelles.

De telles personnes font un travail remarquable, à Libamba. Elles côtoient et connaissent mieux que quiconque, la situation de certains élèves. A travers leurs comportements exemplaires, les « supers » (comme on les appelle) influent sur le comportement des plus jeunes, qui cherchent à s’identifier aux grands. C’est véritablement sur l’épaule de ces « supers » que repose l’atmosphère et l’entente à l’internat.

Le problème d’hygiène :

Outre la carence alimentaire où l’expression « Il faut manger pour vivre » prend ici tout son sens, les élèves connaissent également des conditions d’hygiène assez déplorables. Ces qualités d’hygiène influant sur la santé des personnes, beaucoup d’élèves connaissent donc des ennuis à ce niveau : notamment des diarrhées, des troubles digestifs et surtout l’éternel paludisme qui fait ravage.

Ainsi, l’absence des élèves est très courante, et ce, non pas seulement pour des raisons de santé ; mais également pour des raisons financières.

Le problème des moyens financiers :

Faute d’argent, on renvoie les élèves chez eux, afin de pousser les parents à payer la scolarité et la pension.

C’est ainsi qu’au milieu du cours, un surveillant peut faire intrusion dans le cours, par ordre du Principal, pour sortir les élèves qui n’ont pas encore payé « leur tranche ». Si les parents n’ont pas les moyens financiers pour payer cette nouvelle tranche, l’élève ne peut plus venir en classe pour poursuivre ses études. A mon grand regret, il est regrettable de constater que ce sont souvent les élèves qui ont peu de moyens qui méritent de poursuivre leur scolarité…

Le problème d’organisation interne :

L’absence des élèves au cours peut aussi s’expliquer par l’administration d’une sanction pour l’élève.

Ainsi n’est-il pas rare que l’on vienne chercher un élève au milieu du cours, pour des raisons que j’ignore parfois.

L’élève peut être obligé alors, de faire des heures de « travaux manuel », en entretenant les espaces verts du collège, à la place du cours. Ce qui peut surprendre, c’est que ces « punitions » se font pendant les heures de cours.

Le professeur se trouve d’ailleurs à son tour « sanctionné » : on lui retire des élèves dont il lui faudra ré-expliquer la leçon du jour…

Dimanche 11 décembre 1994 :

Joseph, l’étudiant en psychologie, que j’ai rencontré lors d’une de mes escales à Yaoundé, vient me rendre visite.

Pour moi, c’est une véritable surprise. Il m’annonce qu’il va partir pour la France, au mois de février où il sera accueilli par des chrétiens catholiques et où il poursuivra ses études de psychologie…

Il m’invite à lire sa lettre officiel qui l’en informe. Je le félicite d’avoir pu obtenir une telle bourse d’étude et j’en profite pour lui parler des difficultés d’adaptation pour un africain qui arrive en France.

Nous profitons également du dimanche pour participer au culte des enfants, culte toujours aussi impressionnant.

Je leur apprends de nouveaux jeux, de quelques chants et leur offre un stylo. C’est l’émerveillement pour eux : certains manipulent pour la première fois un stylo. Et en plus, ces stylos permettent de faire rentrer la mine.. Une révélation !

C’est également l’émerveillement pour nous lorsque ces petits enfants improvisent des prières ou lorsqu’ils racontent l’histoire partagée dimanche dernier. Nous sommes une fois de plus surpris de cette facilité à s’exprimer, à trouver les mots, à faire preuve de mémoire et de fidélité dans la chronologie des évènements de l’histoire, avec tous les détails…

L’après-midi, Samuel Lindjeck (le professer de philosophie) nous rend visite.

Et bien évidemment, lorsque deux philosophes se rencontrent, ils philosophent…

C’est ainsi qu’ils évoquèrent Kant, Hegel, Bergson, Descartes, Platon, en passant par Jung, et bien d’autres…

Après le repas, c’est le moment de raccompagner Joseph (non à l’étable de Bethléem) mais à la gare de Minka. Je lui remet quelques lettres à poster à Yaoundé : l’expédition y est bien plus rapide. Je lui laisse également quelques commissions à faire, qui me prendrait trop de temps. Y vivant lui-même, il en connaît toutes les combines.

Le train arrive en gare de Minka avec plus d’une heure de retard… La routine quoi..

En tous cas, rien d’exceptionnel…

Lundi 12 décembre 1994 :

Aujourd’hui, je donne un petit coup de main au professeur d’histoire-géo qui se charge de remettre la bibliothèque en ordre. Il s’agit de classer les livres par thèmes et par matière, pour ensuite les ficher et les répertorier. Beaucoup d’ouvrages se trouvent déjà dans cette bibliothèque. mais ils sont essentiellement de nature historique et littéraire. Concernant les livres scientifiques, ils sont presque inexistants.

Parmi tous les livres de la bibliothèque, l’un m’a particulièrement interpelé. Ses références :

« Le sentiment religieux et la psychologie de l’enfant » de Pierre Bovet (Edition de Lachaux et Nisestlé).

Un livre qui en vaut la peine !

En soirée, le conseil de classe de première qui était fixé à 17h, n’a toujours pas commencé à 17h30. Alors que je suis le seul à attendre, deux autres enseignants viennent me rejoindre à cette heure. Un quart d’heure plus tard, je quitte les lieux, demandant aux gens présents de m’informer lorsque la réunion débute.

Par la suite, on m’informe que le conseil est reporté (pour la deuxième fois d’ailleurs ).

Demain, les épreuves de fin de trimestre devraient commencer. Le problème, c’est que la secrétaire (chargée de dactylographier les sujets), refuse de travailler. C’est un moyen pour elle de revendiquer son salaire.

L’équipe de « secours » se met donc en place, avec en « full position » Samuel Lindjeck ; eh oui, encore lui…

De mardi 13 à vendredi 16 décembre 1994 :

Les élèves bûchent sur leur copie, sous le regard des enseignants qui se relayent pour la surveillance.

Vendredi 16 décembre 1994 :

Alors que je prends mon repas tranquillement, une sensation étrange et inhabituelle m’envahi.

A trois heures, j’informe le Principal de mon état. Il m’encourage à prendre le train aujourd’hui même en direction de Yaoundé pour me rendre au centre médical de la coopération française et décharge Samuel Lindjeck pour m’accompagner à la capitale.

A la coopération française, on me prescrit des médicaments et on m’invite à me rendre au laboratoire d’analyse médicale pour une analyse des selles et du sang.

Après quoi, il ne nous reste plus qu’à chercher les médicaments et trouver un hôtel pas trop cher pour y passer la nuit. Les médicaments font leur effet et la douleur disparut peu à peu.

Samedi 17 décembre 1994 :

Les analyses révèlent que j’ai le paludisme. La douleur que j’avais ressenti hier est donc liée au paludisme. Le médecin de la coopération que je connais déjà bien (puisque c’est aussi lui qui s’occupe de mon traitement de désensibilisation) me prescrit le nécessaire.

Les vacances de Noël vont m’offrir deux semaines de convalescence…   

Dimanche 18 décembre au mercredi 21 décembre 1994 :

Je découvre les troubles liés aux médicaments que je dois prendre contre le paludisme et qui me permettent de me rétablir.

Je passe l’essentiel de mes vacances de Noël à Libamba, sans électricité puisque les dépenses sont trop importantes pour faire fonctionner le groupe électrogène pendant les congés…

J’ai la visite de quelques collègues et de certains élèves des environs. Une fois rétabli, j’en profite pour découvrir un peu plus, l’environnement de Libamba.. Je suis également invité à Makak pour Noël, chez l’infirmière du dispensaire qui n’est autre que la mère d’une personne que je suis allé visiter en France, avant mon départ.

Jeudi 22 décembre 1994 :

Le projet de l’installation d’un petit jardin à quelque peu retardé et pour cause : mon paludisme..

Mes deux experts en la matière m’aiderontt à débroussailler le terrain, la semaine prochaine.

En fin d’après midi, je rend visite à la directrice de l’école primaire. Je découvre ainsi les problèmes de l’école : l’hygiène des lieux y est déplorable, le matériel pédagogique inexistant. L’école n’a plus vraiment de toit.

On peut donc prendre sa douche pendant le cours, lorsque vient la pluie. L’herbe même vient à pousser au milieu de la salle de classe. 

L’effectif qui est à présent de 60 enfants, a considérablement baissé, et les parents n’arrivent plus à financer les 3500 CFA demandé. En tant que croyante et femme de pasteur, la directrice a du mal à refuser la scolarité de ces enfants. Elle même a cinq enfants qui me connaissent déjà bien, puisqu’ils assistent au culte des enfants. Ces mêmes enfants ont d’ailleurs transmis aux parents les jeux que je leur ai appris et qu’ils aiment beaucoup.

Il est vrai que les enfants du village ont l’air de m’apprécier beaucoup. Pour rien au monde, ils n’oublieraient de me saluer..

Il n’est pas rare non plus qu’on vienne me demander si je viens au culte des enfants le prochain dimanche.

Vendredi 23 décembre 1994 :

Un élève de Makak qui est passée un soir alors que j’étais malade, repasse me voir comme je le lui avais demandé. Il souhaite recevoir des cours de soutien en maths, pendant ces vacances. Ayant eu le temps d’en parler au préalable avec le Principal, ce dernier m’a conseillé de refuser, ce que je fais. Pour s’être déplacé, je lui donne toutefois quelques indications quand à certains exercices à traiter.

Samedi 24 décembre 1994 :

Une troisième aide m’est proposée pour la réalisation du jardin. Il faudra en reparler avec les autres, et fixer les prix.. Creuser une fosse, répandre du fumier.. tout m’a été proposé, en échange d’un salaire qui pourrait remédier ou tout au moins alléger les difficultés actuelles… Ce n’est donc pas « l’huile de coude » qui manque..

Malgré les problèmes que connaît le collège, il me semble nécessaire de ne pas privilégier certaines personnes en leur laissant miroiter une récompense supplémentaire qui excéderait le coût réel, même si d’autres liens nous attachent. Il me semble utile et nécessaire de donner à chacun ce qui lui revient vraiment pour ne pas provoquer une situation de jalousie.

Pas toujours évident que de porter cette image du « riche », que nous renvoient certains africains qui nous envient. S’ils pouvaient, ne serait-ce qu’un instant ressentir les difficultés que l’on peux éprouver, à vouloir gérer, de manière équitable et méritée, le dût de chacun. Il s’agit d’aider, certes ; mais de façon la plus juste, sans privilégier qui que ce soit. Puisse donc l’Eternel m’aider à discerner au mieux, chaque situation pour la rendre plus égalitaire.

A 16h, Samuel Njock (le fils de l’infirmière du dispensaire), vient me chercher et nous partons rejoindre sa famille à Makak. Je suis accueilli très chaleureusement. Ces deux jours me permettent d’apprendre à connaître le mode de vie d’une famille africaine et chrétienne.

Je suis surpris du statut de la femme : le travail de la femme africaine est considérable (si on le compare à celui de l’homme).

Les hommes mangent ensemble à une table rarement en présence de leur conjointe.

Les femmes (et les filles) trouvent normal de manger à l’extérieur : près du foyer où elles ont préparé le repas.

Notre regard européen tend à vouloir critiquer cette pratique « machiste ». Mais après tout : s’ils s’entendent bien ainsi.. pourquoi pas ?

A 21h, nous nous rendons à l’Eglise presbytérienne de Makak pour le culte de Noël, culte nourri par beaucoup de chants africains, dont on peut aisément imaginer l’ambiance festive.

Deux heures plus tard, nous quittons les lieux pour revenir dans la maison familiale.

On m’explique que les chants en famille autour de l’arbre de Noël (je veux dire : du palmier !) sont révolus.

En ville, on fête Noël dans les bars et les boites de nuit, de manière plus européenne, sans doute.

Dimanche 25 décembre 1994 :

Le culte de Noël prévu pour 9h, débute à 9h30, donc presque à l’heure. Ce culte est animé par plusieurs chorales de la paroisse (chorale des femmes, groupe des jeunes, chorale mixte…). Parfois, lors d’un silence, une personne entame un refrain et se met à animer toute l’église qui l’accompagne. Ainsi peut-on assister à une vingtaine ou une trentaine d’intervenants.

A Noël, c’est également, pour ceux qui le désirent, la récitation de certains versets bibliques qu’on essaye de partager avec la plus motivante des intonations. Lorsque les versets ont été bien formulés, certaines personnes se lèvent et remercient le lecteur en se précipitant de façon très folklorique sur lui, et lui donnent une petite pièce en récompense.

On n’hésite pas non plus, à se lever lors d’un chant, pour aller faire quelques mouvements de danse autour de celui qui entraîne l’assemblée. C’est une façon de montrer à la personne qu’on est heureux.

Outre toutes ces danses, il y a également la lecture de la Parole du jour, la prédication et les baptêmes.

Même ma propre présence au sein du culte est fêtée et j’ai le droit d’improviser un petit discours au milieu de l’assemblée. Bref : un grand et long moment qui pris fin à 13h30, soit 4h de cérémonie religieuse !

Il paraît que certains dimanches, il arrive que les gens sortent du culte vers 15h !

Il est à constater que le culte africain constitue l’animation essentielle de la vie africaine.

Aller à l’Eglise reste donc une mode.

A 14h, un succulent repas nous attend, après quoi, c’est l’heure de la sieste africaine.

Après ce temps de repos, nous partons visiter une tante à l’hôpital de Makak, puis un pasteur, et enfin un apiculteur français. Ce dernier me fait part de sa vie en Afrique, et de ses difficultés (recherche de travail, inexistence de cotisation pour la retraite, inexistence d’une assurance maladie) qu’il risque de rencontrer, s’il décidait de retourner un jour en France. Mais l’important, continue-t-il, n’est pas vraiment dans le fait de se référer à une solution de vie facile, mais de vivre dans la confiance et dans l’assurance de la foi en Dieu.

Lundi 26 décembre 1994 :

Alors que je m’apprête à retourner à Libamba après ces deux jours passés à Makak, la mère de la famille qui m’héberge m’explique que lorsqu’un de ses fils quitte la maison, elle a l’habitude de préparer un grand sac de provision. Aussi m’a-t-elle préparé avocats, ananas, papayes, bananes (une vingtaine), cacahuètes, beignets, et j’en passe…

Je remercie la famille à la manière occidentale pour tant de générosités et d’hospitalités.

Et c’est un chauffeur de taxi que je connais déjà, qui me ramène au bercail.

Incroyable : un taxi rien que pour moi ; c’est du jamais vu à Libamba !

Le déplacement est agréable. Je remercie le chauffeur de faire le déplacement pour moi tout seul, car bons nombres de chauffeur ne serait pas déplacé « à vide » sans hausser le prix.

Mardi 27 décembre 1994 :

Nous partons pour Yaoundé, en compagnie du Principal et d’une des filles du cuisinier. Etant hématiée, elle souffre d’une plaie qui ne veut plus cicatriser. A 11h30, le train arrive à la gare de Yaoundé.

J’emmène la fille à la coopération française pendant que le Principal fait quelques courses. Le médecin nous accueille. La plaie est de taille et les médicaments qu’elle prenait jusqu’ici, n’était presque d’aucune utilité.  On prescrit le nécessaire à mon nom, ce qui constitue un geste noble de la part de la coopération, étant donné que mes propres frais médicaux me sont remboursés.

A 12h15, la fille va rejoindre son grand frère, qui vit à Yaoundé.

J’attend donc le Principal qui m’a promis de venir au plus vite. A 13h, toujours rien. Comme je le craignait, le Principal a encore changé son programme. Décidément, il ne pourra jamais fixer convenablement un rendez-vous à un lieu précis et s’en tenir.

14h30, toujours personne. Je décide de partir faire les courses (poste, pharmacie, et autres achats).

Après mes achats, je prends le taxi pour aller à la faculté de théologie, où je l’aperçois juste rentrer.

Il venait de me chercher au lieu de rendez-vous, mais sans succès.

Nous partons immédiatement pour établir mon permis de séjour.

Là, nous nous heurtons bien évidemment, aux affaires administratives de l’Etat camerounais.

Alors que mon dossier semble complet, il ne me reste plus qu’un timbre fiscal, pour avoir mon permis de séjour.

Le Principal demande s’il est possible de se procurer ce timbre ici. On nous fait comprendre qu’il n’y en a pas. Mais le Principal insiste et après quelques minutes, à ma grande surprise, nous sommes en possession du timbre sans même nous être déplacé. Etonnant non ? !

Une fois le dossier déposé, nous partons à la maison de la radio, pour une annonce : Libamba recherche d’urgence un professeur d’espagnol. L’ancien professeur a posé sa démission.

Le soir, vers 18h, nous retournons à la faculté protestante et nous rendons visite au pasteur Joseph Sita (ancien stiftien). Ce dernier est ravi de pouvoir nous accueillir et est heureux que je me plaise à Libamba.

Le soir venu, le train du sommeil nous emporte vers un pays imaginaire…

Mercredi 28 décembre 1994 :

En cherchant à ouvrir un compte personnel, au crédit lyonnais, le Principal découvre que le compte de Libamba a été fermé le mois dernier, puisqu’il était à sec et inutilisé depuis 9 mois, et il n’est plus réouvrable.

Le Principal me confie que c’est le troisième compte qui s’éteint ainsi. Il n’en reste à présent plus qu’un seul.

Après l’ouverture de mon compte, nous nous rendons au ministère des trésors publics, où l’on nous mène de bureau en bureau. Lorsque nous arrivons devant le bureau qui devrait pouvoir répondre à nos attentes, la personne en question est absente ! Je découvre que les personnes qui travaillent au sein de l’administration discutent de tout, sauf de leur travail. De plus, les gens qui se donnent la permission de s’absenter pendant leur travail, sont malgré tout payés : une honte pour l’Etat Camerounais !

D’autre part, compte tenu de la corruption galopante, l’administration camerounaise vit encore à l’époque du « taylorisme ». Lors de l’ouverture de mon compte, par exemple, un service s’occupe du dossier de demande d’ouverture ; un autre de l’encaissement d’argent, mais avant d’encaisser, il leur faut consulter d’autres services : un qui change l’argent français, l’autre les travler-chèques, etc.. Ces services sont à leur tour subdivisés en d’autres services : l’un prend les informations, l’autre en prend note et remplis les formulaires.. Après quoi, l’opération de change prend véritablement effet. Et une fois établie, on se rend à nouveau au service de dépôt d’argent, qui rempli d’autres formulaires et nous envoie vers le service d’encaissement..

Croyez-moi, c’est bien ainsi que ça se passe ; je n’exagère en rien !

J’ai même accéléré le schéma, car il est vraiment très compliqué…

Par chance, tous les services de la banque sont présents et fonctionnels. Nous avons donc simplement du faire preuve de patience.

Après avoir vécu les méfaits de l’administration camerounaise, on devient beaucoup plus tolérant et respectueux envers notre administration française. Vraiment, nous n’avons pas à nous plaindre en comparaison…

Après ce passage au ministère du trésor public, nous partons à l’école normal où le Principal a quelques salutations à donner… des visites de courtoisie en quelques sortes.

Puis, c’est dans une banque que nous nous rendons. J’apprends que l’ancien directeur du collège de Libamba a détourné beaucoup d’argent pour ses voyages personnels (Etats-Unis, Allemagne, Grande-Bretagne…). Plusieurs millions paraît-il, alors que le budget actuel du collège est à sec !

Après cela, je quitte le Principal qui me donne rendez-vous à la gare de Makak demain matin, pour d’autres affaires administratives. Je prends un taxi pour me rendre à la gare et je rejoins les deux enfants du cuisinier qui prennent eux aussi le train pour rentrer en brousse. 

La montée dans le train est difficile : chacun ne pense qu’à soi. Certains porteurs n’hésitent pas à grimper par les fenêtres des wagons pour ensuite vendre les places assises qu’ils occupent…

Et lorsque le train se met en marche, certaines personnes sans billets s’installent au-dessus des wagons, d’autres se tiennent à l’extérieur, aux portes, pour éviter de se faire contrôler. Bref on assiste à un mélange de fiction et de réalité qui nous rappelle certains films qui mettent en scène des courses poursuites sur le train en marche. Mais dans le cas présent, c’est loin d’être du cinéma. C’est un exercice dangereux où certains y perdent leur vie..

Arrivé à Minka, nous descendons du train pour continuer notre chemin jusqu’au collège où nous retrouvons avec joie, l’ambiance de la brousse…

Jeudi 29 décembre 1994 :

Je prends un taxi pour Makak pour accueillir le Principal, comme convenu. Lorsque le train entre en gare, le Principal n’est pas là. Il ne me reste plus qu’à rentrer à Libamba !

Décidément, je suis bien triste de constater que je ne peux pas faire confiance au Principal, quant à ses rendez-vous non tenus. Mais le fait de s’irriter ne servirait à rien… Bref, c’est un mal africain !

Vendredi 30 décembre 1994 :

J’accompagne le cuisinier dans ses cueillettes d’arachides. En arrivant, nous trouvons un corbeau pris à l’un des pièges installés. Près d’un autre, on aperçoit quelques épines et des marques de dents sur la branche à côté du piège. C’est probablement un hérisson d’un demi mètres qui a réussi à se sauver.

Le cuisinier m’apprend à cueillir les arachides. Je lui apprend à se servir de la caméra que j’avais emmené pour la circonstance.

L’après-midi, je reçois la visite de quatre enfants de l’école du Dimanche.  Je leur appris un nouveau jeu et ils y prirent goût.

Le Principal revient ce jour, en compagnie de la CIONEL (la compagnie d’électricité du Cameroun), pour tenter de réinstaller l’électricité au collège…

Samedi 31 décembre 1994 :

En ce dernier jour de l’année, je constate que les vacances vont également bientôt se terminer sans que je n’ai « commencé » mon jardin. Cela fait deux semaines qu’on aurait du débuter les travaux, et cela fait presque une semaine que je cherche une pioche ou une pelle pour retourner la terre.

Soudain, je pense au cuisinier qui pourrait me prêter le matériel adéquat de bon cœur. Je me rend donc chez lui alors qu’il s’apprête à partir lever les pièges. Je décide de l’accompagner. Il m’explique sa technique d’installation  des pièges (localisation, orientation, dissimulation…). Une fois de plus, les gros hérissons ont endommagé son champ de manioc cette nuit. Mais aucun d’entre eux ne s’est laissé prendre au piège.

Une fois la levée des pièges effectuée, nous partons en pleine brousse pour aller chercher du bois.

A l’aide de sa machette, le cuisinier ouvre le chemin qui nous permettra de ramener le bois plus facilement.

De retour de notre expédition, il me fait part des outils adéquats pour entreprendre mes travaux de jardinage.

Désormais j’allai pouvoir commencer « sur le champ » à défricher et « débroussailler » (le verbe « débroussailler » prend ici tout son sens !) le terrain.

Après une bonne douche, je prépare mon repas de midi lorsqu’arrive David, le pisciculteur américain. Je l’invite à partager mon repas et nous décidons de partir au Gnon (le fleuve le plus proche des environs).

Arrivé sur les lieux, nous observons ce magnifique paysage qui nous offre un panorama idyllique.

Nous longeons le Gnon et nous arrivons près d’une maison, où l’on nous offre le vin de palme.

C’est pour moi un baptême que de déguster ce breuvage. Le vin de palme qui possède encore un goût sucré est entrain de fermenter. Ici, on n’attend pas que la fermentation soit totale. On ne stocke pas, on boit !

J’en profite pour m’informer sur la manière de recueillir le jus de palme.

On m’explique qu’ici, on a l’habitude d’abattre le palmier, en coupant la base du tronc en pointe. C’est par cette pointe qu’on recueille le précieux liquide qui circule au cœur du tronc. Un palmier adulte peut ainsi approvisionner une famille pendant près de 3 semaines. L’habitant nous montre également comment on sèche les graines de cacao et comment on cueille les noix de coco (on taille l’arbre pour grimper plus aisément).

Une fois la leçon terminée, nous remercions l’habitant pour son accueil chaleureux et pour le temps qu’il nous a consacré, après quoi, nous « rebroussons » chemin. Après une halte dans ma demeure, où nous prenons le goûter, je raccompagne David chez lui. Sur la route, un parent d’élève nous invite à faire une petite halte pour discuter et se désaltérer. Il nous parle à sa manière, des réalités de Libamba, de l’ancien Principal qui est venu au poste de manière illégale, des tensions internes que vit le collège, de l’argent détourné, de certains hommes d’Eglise qui prêchent la bonne nouvelle en se remplissant les poches, bref de la réalité de Libamba et de l’Afrique en générale qui fait que les choses actuelles sont ce qu’elles sont.

Nous le remercions pour ce petit brin de causette fort intéressant, pour poursuivre notre chemin.

Arrivé chez David, je ne m’attarde pas trop, et pour cause : la nuit commence à tomber ; il faut donc songer à rentrer. Je le laissais donc retrouver sa demeure, après avoir partagé avec lui, cette agréable après-midi ensoleillée.

Le soir, c’est à nouveau avec le cuisinier que je partage les derniers instants de l’année 1994, devant la chaîne télévisée camerounaise. « Une télévision en pleine brousse ? », me direz-vous ! Eh bien oui, et c’est bien la seule !.

D’ailleurs tout Libamba en profite, puisque le cuisinier du collège est pour l’instant l’un des seuls à bénéficier de l’électricité en continu (du moins lorsque l’orage ne menace pas et lorsque la compagnie d’électricité n’est pas en grève).

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